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Du côté de ma mère, je suis le petit-fils d'un meurtrier qui s'est suicidé

Je suis né et j'ai grandi dans une famille ombreuse autant sinon plus que nombreuse (nous fûmes huit enfants). Quelques années avant ma naissance mon grand-père maternel avait tué sa femme d'un coup de revolver en pleine rue sous les yeux de ma mère adolescente, puis, emprisonné, s'était pendu dans sa cellule.
Haute Loire Dieu sait pourquoi ma mère ne voulut jamais révéler ce drame de la jalousie des années 30, relativement fréquent -on appelait cela un crime passionnel- comme s'il s'était agi d'une malédiction démoniaque, et je fus enveloppé d'un mensonge permanent comparable en tout point à ces nappes d'obscurité redoutable qui hantent les tableaux de Francis Bacon, rampantes entités conquérantes animées des pires intentions, succubes dévorants face auxquels un enfant ne résiste qu'en émettant une lumière éclatante, une lumière qui brûle toute son énergie, et le laisse démuni, proie naïve offerte à tous.
Le présupposé (préjugé) selon lequel un enfant, dans certains cas, doit être préservé de la connaissance, est un mal pire que celui auquel l'adulte bien intentionné tente de le soustraire.
C'est un manque de confiance, un soupçon de culpabilité potentielle, l'opprobre déversé sur celui qui est innocent, un crime bien supérieur à mon avis à celui qu'avait commis mon grand-père. Ce n'était pas moi qui avait tué ma grand-mère et je n'avais pas à l'ignorer comme si j'eusse été le coupable à qui, par charité, on eût essayé d'effacer la mémoire !
.....
Bien entendu je finis par me sentir responsable de la dépression permanente et du chagrin de ma mère que rien ne pouvait faire cesser. Comme n'importe quel petit garçon aimant je souffris jusqu'à ce que je finisse, pour survivre, par m'arracher le coeur.
Mais ce n'est pas tout. Une autre partie du malheur de ma mère venait de ce que mon père était méchant, ou peut-être devrais-je dire mauvais afin d'être mieux compris, quoique mon père n'eût pas d'autre vice que celui de ne montrer jamais la moindre bonté et de se réjouir paisiblement du malheur d'autrui, fût-ce celui de sa propre femme ou de ses propres enfants. Il se considérait ainsi consolé du sien propre à l'époque de son enfance et le disait volontiers. Il ne tendait jamais la main à quiconque, et crachait automatiquement dans celle qui se tendait vers lui pour obtenir du secours. En toutes choses il ne voyait que les défauts et ne pouvait s'exprimer que de façon désobligeante et critique. Bref il était tout sauf un appui pour ma mère qui nous déclarait pourtant qu'il était le meilleur des hommes. La rudesse de mon père, son laconisme, passaient pour des qualités viriles, pratiquement de la bonhomie bienveillante...
Ma mère pleurait tous les jours, assise devant la table, les coudes sur la toile cirée, en fournissant comme explication unique le manque d'argent !
.....

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Le but d'une oeuvre d'art n'est pas d'exprimer la vérité éternelle, ou de rivaliser avec la Création, mais elle doit, aussi infime ou gigantesque soit-elle, simple distique, petite chanson, ou grandiose opéra, comme son reflet renvoyer au Tout !
Nous extraire ainsi de la fosse commune où nous sommes, nous redonner de la hauteur, au contraire de toutes les autres productions humaines.
(Je crois, somme toute -j'espère que vous apprécierez l'ellipse- que Dieu n'a donné la liberté à l'homme qu'à seule fin qu'il n'en use pas !)

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Les chats sont les gardiens de la profondeur du monde
A chaque chose du jour correspond une chose de la nuit
Ils se tiennent aux quatre coins du voile sous lequel palpite l'Inconnu
Comme la grande toile horizontale agitée au théâtre pour figurer la mer
Ils se tiennent à la frange et ils attendent
Ils sont nos meilleurs alliés pour descendre en nous-mêmes
Pour le chercheur de vérité trouver les pépites
Pour l'amateur de sens comprendre
Avec eux ce qui devient apparent est aussi réel
Et il n'y a plus de raison de douter.

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Dimanche dernier (19 août 2007) j'ai voulu aller écouter Concha Buika en concert gratuit au parc de la Villette *. J'ai pris mon vieux break Peugeot 305, merveille irremplaçable qu'un enfoiré à récemment défoncé sur un parking en oubliant de laisser sa carte, j'ai roulé jusqu'à la porte de Pantin, et là, j'ai découvert ce qu'ils ont fait à ma pauvre, belle, mélancolique avenue Jean Jaurès, celle de mon enfance, de mes rêves, de la récurrente et douce nostalgie que produit épisodiquement le déclin objectif de mes réserves d'avenir quand je songe au terme définitif.
Bien sûr j'étais préoccupé par le concert et je ne suis pas allé très loin en direction de Laumière, qui fut, de zéro à dix-sept ans ans, ma station de métro, tandis que l'avenue de Laumière était mon avenue, et, en général, tout le XIXe arrondissement avec la France mon quartier et ma patrie. A la recherche d'une place de stationnement j'ai quand même beaucoup tourné et je me suis même retrouvé rue Manin, devant le cours complémentaire où se passèrent mes études de la sixième à la troisième, avant que je n'entre au lycée.
Il n'y a plus la moindre respiration, le moindre espace libre, tout est balisé, équipé de butées, de terre-pleins, de trottoirs de rétrécissement, de garde-fous, de sens uniques, de sens giratoires, de culs-de-sacs, de tremplins (ralentisseurs), de bornes d'arrêts, avec des jardinières colossales pour de la végétation, des bandes de peinture blanche, de peinture jaune, des flèches en tous genres, des panneaux de toutes tailles, des feux rouges, des feux clignotants, tout un ensemble de saloperies d'éléments d'urbanisme qui proclament clairement que la connerie, la prétention, l'orgueil, le sérieux (le ridicule) humains sont au pouvoir et triomphent allégrement tandis que l'intelligence, la sagesse, et la légèreté qui fait le charme de l'existence, sont bannies, honnies, et méprisées. Je n'ai même pas pu voir le tracé ancien et familier, le visage aimé de mon ancien quartier, sous ces aménagements de Caïn, ce maquillage absurde.
Un philosophe de mes amis m'avait autrefois signalé le bénéfice psychologique qu'il y aurait, dans les villes, à supprimer les grilles des squares, des jardins et des parcs, et j'ai constaté récemment qu'à la tour Saint-Jacques, où, heureusement, il n'y en avait jamais eu, on vient d'en installer.
Je tiens à signaler à Monsieur Delanoé ainsi qu'à tous ceux qui oeuvrent dans le même sens que l'urbanisation, pour des raisons évidentes qui tiennent à l'économique, mais également pour d'autres influences moins explicables mais absolument certaines, est un repoussoir avéré de la création artistique, fait fuir ou décourage tous ceux dont la sensibilité enregistre le déni implicite d'espoir, d'élan vital, qu'inflige à notre âme cet empilement de signes de mort, cette volonté d'organisation artificielle et de ratio tournée contre nous-mêmes, qui rappelle le surnombre des lois impuissantes, la complexité étouffante de notre société délétère dont, très probablement, on peut se réjouir finalement qu'elle soit à coup sûr condamnée par l'évolution actuelle !
Vivre dans ce monde-là, dans ce Paris privilégié et initiatique, verrouillé, où il n'y a déjà pas, comme c'était le contraire après guerre, durant mon enfance, de terrains vagues, ces espaces de « sauvagerie » qui, dans une ville, nous rappellent l'existence de la nature et de Dieu, non merci !
Je suis convaincu que si Paris a cessé d'être la ville des arts qu'elle fut naguère, remplacée par New-York, ce fut en raison de l'urbanisation qui commença dans les années cinquante du XXe siècle. Le Paris humain et bon enfant, le Paris un peu dégueunillé mais si vivant d'Apollinaire, de Picasso, qui avait inspiré toutes les chansons que m'apprit ma mère, où traînait encore partout l'ombre de Zola, a disparu sous mes yeux de même que furent remplacées les berges de la Seine par des voies rapides. C'était le progrès (!) que récuse à présent l'écologie. Mais tous les gens sensés avait dès le début compris. Il y a des commandements élémentaires non humains qui, lorsqu'ils sont niés,  nous garantissent l'échec de nos entreprises. Bétonner un fleuve, comme ce fut le cas, remplacer la vie et la beauté par le béton et la laideur, pour le bénéfice de la circulation automobile -qui n'est pas celle des êtres humains, n'en déplaise à la logique- (et le profit financier de quelques-uns, évidemment) c'était accomplir un acte de démence pitoyable qu'aucun esprit un peu raisonnable ne pouvait approuver.
Quant aux artistes ils s'en allèrent. Probablement pas délibérément, pas volontairement, mais ils se sentirent attirés ailleurs ou simplement trop mal à l'aise pour rester. Ou ils moururent. Ils changèrent de métier. Ils s'adaptèrent. Déjà que c'est difficile d'être un artiste quand les conditions de survie sont réunies, alors là c'était impossible.
Et Paris Plages, cette parodie tout juste bonne à amuser un après-midi les jeunes cadres modernes qui font du roller, les provinciaux et les touristes, n'y changera rien.

*PS: Dommage, la sono était pourrie !

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La première femme que j'ai aimée n'a jamais rien compris, mais alors rien de rien, à ce que je suis. Pourtant nous vivions ensemble. Par exemple, quelque chose d'aussi significatif que la passion des chats, qui revient, somme toute, à se situer du côté des étoiles contre la lumière électrique, du côté du bien contre le mal, à s'enivrer du chatoiement de la lumière sur l'eau, lui demeura constamment incompréhensible, ne fut pour elle, au mieux, qu'une préférence parmi d'autres, si tant est qu'elle eût conscience de mes particularités.
Il y a des gens qui ne possèdent que la grille de lecture que leur fournit la société de leur époque et qui classent ce qu'ils voient en fonction de cet ordre sommaire, superficiel, et incomplet.
- « Ah, bon, cela existe, un être humain qui aperçoit une âme dans l'oeil d'or du lézard et qui rêve, enfant, de parler au vent ? »
Pour ma mère, car c'est d'elle qu'il s'agit, je n'étais qu'un petit garçon, tel que la société des années 1944 et suivantes le définissait, rien d'autre, et son amour, davantage sens du devoir que pulsion sentimentale, ne s'adressait qu'à lui, et non à moi, l'être réel.
Quand on pense qu'on opérait, au début du XXe siècle, les bébés sans anesthésie, convaincu que leur conscience rudimentaire ne leur permettait pas de ressentir comme un adulte la douleur !
Actuellement les meilleurs travaux en psychologie excluent toute possibilité de conscience spontanée chez le nourrisson. On étudie l'apprentissage que devrait faire l'enfant des mimiques de sa mère. Ce qui revient à nous gratifier d'une intuition inférieure à celle d'un chien.
Personnellement je me souviens fort bien d'une tétée à la maternité alors que je n'avais encore que quelques jours, et des pensées déterminantes -vous avez bien lu- erronées d'ailleurs (car les enfants ignorent la société), qui me vinrent à l'esprit durant un incident qui eût lieu à ce moment-là.
Et comme un chien, ce dont je n'ai pas honte, je percevais aussi, à cette époque, -comme une espèce d'aura colorée- la peur, la méchanceté, ou la bonté des gens.

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Toute ma vie j'ai pratiqué une certaine approche soi-disant « réaliste » de l'être, composée de prudence, de scepticisme, de rationalité, -de cartésianisme-, conforme à l'éducation que j'avais reçue et à la culture qu'on m'avait enseignée, qui m'apparaît de plus en plus n'être tout simplement que le plus petit commun dénominateur de l'intelligence moyenne, la pensée neu-neu par excellence, élevée au rang de dogme sacré autoproclamé par ceux qui justifient de la sorte leur présence au monde et qui sont d'ailleurs bien à plaindre, puisqu'ils nous prouvent ainsi qu'ils ont peur !
Moi-même, si j'osais, je dirais qu'il n'est pas nécessaire que la pensée fasse retour sur elle-même pour se prouver qu'elle est valide et qu'au contraire, elle n'est efficace, et avec quelle puissance, que dans la spontanéité ! (La réflexion elle-même, terme impropre, c'est-à-dire la pensée poursuivie, n'est pas autre chose : c'est un état d'âme). C'est le seul moyen d'inventer (au sens d'invention archéologique, de découverte), d'innover, de créer. Le retour sur elle-même n'est que la comparaison avec la pensée déjà existante, un bridage, le refus d'être original, d'être différent.
Cette déclaration, qui pourrait passer pour un aveu d'orgueil intellectuel, n'est qu'une tentative pour établir le constat du manque de liberté intérieure douloureux dont j'ai été la victime sans en être vraiment conscient. Cela m'a permis toutefois d'être un certain temps un premier de la classe. Mais, quand l'école est finie, un premier de la classe fait plutôt figure d'imbécile s'il a, comme moi, oublié de préparer son entrée dans la jungle croyant que celle-ci n'existait pas. Il n'eût pas été moins confortable à ce moment-là, j'en suis sûr, de ressembler plutôt à un génie !

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Moi qui suis sans aucun doute un raté pour la société et, peut-être, un réussi pour Dieu, je sais très bien quelles sont les routes qui passent par l'ambition, la volonté de vaincre, l'envie de triompher, et qui ne devraient -et qui ne doivent- conduire nulle part. A cet égard, j'ai une anecdote. Ma psy me dit un jour :
- « Si je comprends bien, tu veux être le roi ? » Et, avant que j'aie eu le temps d'acquiescer avec reconnaissance :
-« Pourtant tu sais ce que sont les gens pour la plupart ! »
Je me renfrognai.
-« Je vois que tu as compris. Tu n'as pas envie d'être leur roi, le roi des ...  »
C'était frustrant, mais c'était imparable...
Finalement cela m'a aidé à supporter ce qui, étant donné ma moralité, était inévitable. Quant aux erreurs, aux tentations, j'en ai été préservé pour l'essentiel par ma naïveté.
Tout n'est pas fini et l'on verra si l'avenir me donne entièrement raison.
En tous cas, l'ambition telle qu'elle est peut être un point de départ, mais pas un point d'arrivée.

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New-York


1/ Non, New-York n'est pas toute neuve ! Pas plus que Paris elle ne s'est faite en un jour. Elle est tout de même là depuis trois siècles ! Pour l'essentiel elle est sale, pauvre, peuplée de malheureux de toutes sortes, de malades, d'étrangers ayant tous apporté avec eux un misérable bagage de vieilleries qu'ils serrent sur leur coeur. Il y a un grand nombre de petits restaurants obscurs et poussiéreux d'Europe centrale où l'on vous sert du bortsch et du goulasch. De plus elle est sommaire comme un brouillon, avec ses rues qui se coupent à angle droit, les échelles de secours qui défigurent les façades, on dirait un campement de fortune !

2/ Les gratte-ciels sont-ils tous des monts Sinaï, des montagnes sacrées où l'on rencontre Dieu ? J'en doute.
Quoiqu'ils contestent à l'humain sa périssable réalité ils n'en établissent pas davantage l'existence de Dieu. Irréels somme toute, ils ressemblent exactement à ce qu'ils sont : une proclamation de la puissance d'une unité de conversion, l'argent, c'est-à-dire rien, le statu quo, la société, Satan.
Pourquoi la société n'est-elle pas entièrement mauvaise ? Parce qu'elle se cristallise à partir d'individus particuliers qui sont chacun une créature de Dieu.
L'interdépendance commune de ces êtres et l'amour qui en résulte est la vision du saint. Leur brassage, leur mélange, leur réduction à un plus petit commun dénominateur et le mépris de leur destin personnel est le travail du Diable et se nomme société.
NY est son triomphe.

3/ Si les villes d'Europe se sont plus ou moins construites naturellement à l'image de l'homme, il n'en est pas tout à fait de même pour NY. Elle s'est construite beaucoup plus vite et elle l'a fait sans le frein des traditions. Il n'y a pas de centre à partir duquel elle se fût déployée peu à peu comme les cercles d'ondes concentriques que provoque un caillou jeté dans l'eau.
Elle est moins pétrie des vanités humaines que de la recherche du profit. Pas de palais des Médicis édifié pour la gloire, où chaque bosselage a une prétention, pas de statue du Condottiere commandée au plus grand sculpteur.
New-York est une colossale ville de banlieue dans un pays sans véritable capitale. D'ailleurs, comme l'a fait remarquer génialement J.L. Godard, ce pays n'a aussi pas de nom !
Se pourrait-il que la fascination qu'exerce NY tienne précisément à cela ? A l'ère de la mondialisation cette ville de banlieue colossale d'un pays sans nom ne serait-elle pas destinée par essence à devenir la capitale du monde ?
La nouvelle Babylone ?

4/ Tout semblait possible, t'en souviens-tu mon âme ? C'était l'été indien, l'air brillait comme un joyau, et, malgré les tours, les murs et les aires de béton, le gigantesque jeu de construction métallique déjà à demi rouillé s'élevant dans le ciel, les hurlements des sirènes, les yeux innombrables des caméras de surveillance, le mal fait aux Algonquins je n'y pensais pas.
Chaque instant était argent et vert comme la rosée sur l'herbe quand l'île leur appartenait encore, chaque instant était le début d'un bonheur constant. Je respirais. Mais peut-on construire un avenir heureux sur une injustice ?

5/ Tout le monde veut vivre à New-York, même moi ! Après tout, un juste comme Loth vivait bien à Sodome et trouvait des excuses à ses concitoyens.
Parce que l'homme aime les villes paradoxales où circule l'air de la liberté.
A New-York il y a l'air de la liberté et il y a aussi l'air salé de l'océan, -eh oui, qu'on se le dise.
Entre les falaises des gratte-ciel, dans ces avenues tracées au cordeau, l'Atlantique insuffle sa fraîcheur et sa tonicité.
Un jour, elles seront peuplées de goélands, de sternes arctiques et de fous de Bassan, et les piaillements des mouettes auront remplacé ceux des top-models et de Paris Hilton sur la Cinquième Avenue. Des algues pousseront sur les façades, et des crabes grouilleront dans les fondations des immeubles de Wall Street. Les marées noieront Liberty Island, Governor Island, Brooklyn et Manhattan.
Ici, visiblement, tout le monde le sait, et tout le monde s'en fout, comme dans toute ville de banlieue même colossale qui n'est qu'un lieu de passage, une halte pour immigrants avant de trouver le vrai home, la destination finale, qui, bien sûr, est THE DEATH ITSELF !

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Je suis un Barbare au déclin de l'Empire capitaliste, un de ces Barbares raffinés analogue à ceux de la cour ancienne du roi Théodoric à Ravennes, à la fin de l'Empire romain, moi qui, jadis, enfant, trouvant dans mes lectures son portrait en intellectuelle érotomane et guerrière, suis tombé amoureux à tout jamais de l'impératrice Théodora.
L'Empire capitaliste, j'en ai rien à battre, et je ne me soucie pas davantage de la vieille civilisation européenne, largement oubliée, passée de mode.
D'ailleurs, avec les nouveaux us imposées par la décroissance, personne ne peut regarder en arrière, sauf les grands vieillards et les nostalgiques qui n'ont pas d'avenir.
Moi, ce qui m'excite ce sont les balbutiements d'une culture pleine de promesses, celle du syncrétisme chrétien-bouddhiste-musulman, qui agite tous les esprits. Dans les ruines enneigées de New-York, ce soir de l'hiver 2031 après le Christ, emmitouflé dans mon manteau, je me rends précisément à une lecture publique de "Paix", l'ouvrage découvert il y a cinq ans à Paris, écrit par un inconnu déjà disparu, une somme inclassable à la fois poésie, philosophie, psychologie, mystique, émaillée de mantras, de koans, etc... qui fonde ce qui ressemble presque à une nouvelle religion.
Ou devrais-je dire seulement "un nouvel espoir" ?
Quoi qu'il en soit, comme tous ceux qui, dans le monde entier, ont ressenti le même appel, ont perçu un message identique et se sont reconnus, je m'apprête ce soir à approfondir avec d'autres Barbares cette avancée paradoxale de la civilisation.
Oui, paradoxale, puisque c'est l'échec du capitalisme industriel qui, en nous obligeant à reconsidérer le soi-disant progrès technologique, nous a permis de comprendre qu'il fallait faire demi-tour. La décroissance, imposée par la catastrophique évolution écologique, réclame également une nouvelle pensée, une nouvelle conscience. Le paradoxe c'est aussi que si un avenir existe, il devra ressembler au passé mais un passé revu et corrigé, indemne de la volonté destructrice qui animait nos pères, nos ancêtres, un passé débarrassé de cette fameuse notion de "progrès" appliqué aux conditions matérielles de l'existence. A présent nous avons appris qu'il n'existe de progrès possible, c'est-à-dire d'avancée vers le bien, que dans l'ordre moral, ce qui nous invite au développement spirituel, à l'épanouissement de nos facultés intellectuelles, psychologiques, à l'espoir d'une humanité nouvelle, plus sage, EN PAIX, plus heureuse.

Si les choses s'étaient passées comme à l'époque de l'Empire romain, mes semblables et moi serions une poignée, comme l'étaient les premiers chrétiens, luttant pour survivre et se faire reconnaître au milieu de la masse immense des  païens disposant de la force armée et du commandement. Mais la montée des eaux, les ouragans et les cyclones, les pluies torrentielles, les incendies de forêts, les inondations, les hivers incroyablement rigoureux, les canicules, ainsi que les épidémies, les pandémies, les affections virales inconnues, les allergies, tous les étranges dysfonctionnements jusqu'en nous-mêmes d'une nature malade par notre faute, en prenant des vies, en ébranlant les économies, créent de fait le ralentissement indispensable tout en forçant la prise de conscience qui devrait permettre aux survivants, heureusement encore assez nombreux, de comprendre et de réparer les erreurs naguère commises.

Ce que nous n'avions pas encore clairement compris : que la pollution physique était la conséquence, ou plutôt se doublait invisiblement d'une pollution spirituelle, ou encore marchait en parallèle avec elle, devient de plus en plus clair. Si la civilisation européenne, tout en conquérant le monde, a commencé à détruire celui-ci, à l'époque de ce que l'on a appelé la Renaissance, il semble bien que ce soit à cause d'une philosophie matérialiste élevée au rang de vertu presque mystique, malgré d'innombrables preuves de sa nocivité, de sa dangerosité : l'humanisme !
En même temps que la Terre cessait d'occuper la place centrale dans l'univers, "progrès" scientifique dont nous sommes redevables à Copernic et Galilée, l'homme devenait le centre d'un monde dans lequel Dieu et par conséquent la nature cessaient d'être importants.
Sans doute en réaction avec la tyrannie du catholicisme s'édifia contre Dieu une religion de l'humain qui devint rapidement tout aussi injuste, partiale, et tyrannique.
Descartes sertit la névrose comme une pierre précieuse au coeur même de sa Méthode comme on enfouissait un chat vivant dans les fondations d'une maison.
Certes les humanistes du XVIe siècle nuançaient davantage leur propos. Mais ce que prétend un philosophe et ce que deviennent ses idées pour le peuple n'est pas la même chose.
Les humanistes faisaient référence à l'Antiquité ce qui prouve qu'ils ne cherchaient en rien le "progrès", au contraire. Ce concept, certainement grâce à la religion, n'existait pas à leur époque. Mais ils le créèrent en donnant libre cours à la curiosité et à l'orgueil humains jusque-là tenus en bride. Qu'est-ce que le "progrès" sinon l'expression d'un délire dans lequel nous nous imaginons pouvoir améliorer notre condition, laquelle en fait est invariable. Comme le disent les Evangiles : "Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter une coudée à la durée de sa vie ?"
Chaque maladie terrassé, contrôlée, par la médecine et la chirurgie en constants "progrès", en engendre une autre irrépressible, mystérieuse, sortie peut-être de l'âme humaine où elle restait prisonnière jusque-là, comme si l'équilibre de la nature, l'ordre des choses, finalement ne nous appartenait pas. A qui appartient-il ? Nous ne pouvons répondre à coup sûr sinon que nous n'en savons rien. Cette ignorance devrait nous servir de garde-fou, rester constamment présente à notre esprit dans toutes nos recherches, toutes nos études. Et, chaque fois que cela arrive, nous devrions nous sentir soulagés de n'être pas responsables et reconnaître l'oeuvre de Dieu.
Mais les humanistes ont fixé pour credo de toujours nommer l'homme.

Dès la fin du XXe siècle la problématique spirituelle s'illustra par la montée des extrémismes religieux. Ils n'étaient pas viables mais ils dénonçaient la faillite de la science et des technologies occidentales confrontées à des démentis permanents et responsables de la pollution universelle et la faillite de la domination universelle politique. Et ils révélaient à la fois le besoin de religion dans l'homme et sa culpabilité.
Ce fut la période où les Occidentaux se servirent de la notion de "développement durable" pour continuer à détruire le monde tout en se disculpant.
Personne n'était vraiment dupe mais on espérait gagner du temps (comme si, encore une fois, nous avions pu changer l'ordre des choses et puiser dans ce qui ne nous appartient pas). On parlait beaucoup de "l'effet de serre", de "réchauffement climatique"; certains imaginaient des solutions pour stocker le CO2 dans la terre; on était à la veille de réaliser que la fin de la civilisation connue était inévitable sans pouvoir en identifier la cause et envisager un "après". Parallèlement les technologies dites "douces" se développaient peu à peu, amorce obscure de ce que décrit "Paix". On pouvait commencer à deviner qu'il n'y avait pas une, mais des solutions et que la société future, si elle devait exister, devrait respecter le développement personnel de chacun. La centralisation, le respect d'un chef, une société uniformisée, n'étaient plus possibles.
.....
(à suivre...)

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Eloge de la misanthropie.
La plupart des lois expriment, en prenant des dispositions à leur encontre, les mauvais penchants des hommes. Si nous devenions "normaux" nous en serions débarrassés ainsi que des signes innombrables qui en sont les traces dans l'environnement et la société. Cette virginité perdue du monde est la chose qui manque le plus et désespère les âmes meilleures qui devraient avoir droit à leur paix.

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J'ai toujours cru et même pensé que nous sommes tous "améliorables" jusqu’à rejoindre Bouddha, et en même temps j'ai toujours admiré ceux qui ne considèrent chez autrui que ce que celui-ci est capable d'exprimer, en particulier dans une relation amoureuse, pouvant ainsi rompre sans regret quand c'est inévitable.
Moi j'en ai toujours été incapable parce que je vois le potentiel des êtres, pas leurs limites.
Si elle s'en allait, il me manquerait ce que j'espère tellement qu'elle puisse me donner, non ce qu'elle me donne en réalité.

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C'est vrai qu'il y a quelque chose d'un peu débile, dès que je pose mes deux mains sur les seins de ma femme, hume son odeur, baise sa peau, à devoir irrépressiblement agiter mon bas-ventre d'avant en arrière, mécaniquement, comme une espèce de pantin devenu fou... ; en même temps, tout un océan réuni en une seule formidable vague me soulève, m'emporte jusqu'aux plus lointaines étoiles où je peux regarder mon âme dans ses yeux à elle, et là le silence éternel de l'infini m'accueille et m'absout.

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Je recommande pour l'équilibre intellectuel la position suivante : le cul dans la terre, le regard tourné vers le ciel. Indispensable en effet d'être assujetti, presque planté au sol, à peine sorti physiquement du moule terrestre, la merde au cul soyons précis, c'est notre condition. Il n'y a aucun inconvénient, je le sais d'expérience, à vivre à la campagne, dans une région un peu froide et humide, pluvieuse et sauvage, vêtu de gros velours de laine, dans les côtes duquel peuvent s'incruster insectes et champignons et qui finit par dégager un lourd parfum de terroir, âpre et profond comme du vin, auquel tant de paysans jusqu'à ce jour s'identifièrent.
Souvenez-vous des matins brumeux d'automne, dans la cuisine de la ferme, le bol de café brûlant, et ces braies raides comme du carton. La chien aboie dans la cour. L'aube s'élève au-dessus de l'horizon, grandiose. Vous êtes vivant, capable des plus grandes choses.
Celles-ci : sortir, parler aux animaux, respirer, entendre battre le coeur du monde.
C'est bien suffisant.

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Le secret de la vie, expliqué aux malheureux réalistes occidentaux, le voici : celle-ci n'est pas un récipient creux comme une espèce de séjour plus ou moins vaste identifiable avec l'espace dans lequel un ego autonome se baladerait tantôt en robe de chambre -l'amour- tantôt en bleu de travail -le boulot-, et où l'on célébrerait régulièrement des fêtes, des anniversaires, seul ou en famille, ou entouré de connaissances, jusqu'à la mort.
C'est un processus organique indissociable de la personne, qui, composé avec la durée, s'apparente à un organisme en perpétuel développement, mû par une pulsion vitale elle-même perpétuellement relancée. Elle nous oblige à grandir indéfiniment avec ou contre notre volonté, et la qualité du concours que nous lui apportons nous favorise ou nous sanctionne.
Le but, à ce qu'il semble, est une conscience de plus en plus grande, totalement incompatible avec le « je » cartésien. Le « moi » lui-même, peu à peu, se révèle insuffisant.
On espère disparaître afin de laisser exister entièrement cette étrange et magnifique chose, disparaître de sorte que l'on ne puisse en réalité plus jamais mourir. S'il n'y a plus rien à ma place ce rien n'est pas susceptible de s'en aller, n'est-ce pas ?

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L'âge permet, sans même le vouloir, de prendre de l'altitude. On se retrouve en position de regarder sa propre vie de l'extérieur, exprimable en quelques lignes, comme celle d'un personnage de roman, et la société, microcosme enfermé dans sa bulle, comme un bouillon de culture sous un microscope. Ce que je vois aujourd'hui : la destinée humaine médiocre, insuffisante, dans les classes pauvres, par la faute précisément de la société, dont les « meilleurs représentants », je veux dire les élites dirigeantes, en particulier politiques, ne sont constituées que des individus les plus parasites, punaises, cafards, présidents de la république.

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Pour être aussi heureux que je le suis parfois, il faut évidemment «se bercer d'un certain nombre d'illusions». Mais ce sont les mêmes, il me semble, que celles qu'un animal qui n'obéit qu'à ses instincts paraît lui-même entretenir.
Ils sont «dans la main de Dieu», les chats, par exemple, ce qui leur permet dans des situations que nous trouverions insupportables, de faire montre du flegme aristocratique que nous sommes quelques-uns à leur envier. Et à l'étude, il apparaît presque toujours que cette décontraction suffit à assurer leur survie. Pour un homme, ce serait quelque chose comme chuter en état d'ivresse sans se faire mal ou encore «être Zen».
Finalement, «se bercer d'illusions» à en croire notre culture cartésienne, c'est-à-dire renoncer aux soucis que l'ego se fabrique avec l'intellect, revient, vu sous mon angle et celui des chats, à pratiquer physiquement l'action de grâce.

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Toute ma vie j'ai adoré ce que j'appellerai, faute de mieux, la culture -le raffinement intellectuel, l'érudition en matière d'art, de poésie, de philosophie- et je considérais comme une nécessité vitale et un devoir moral, d'améliorer en permanence ma capacité de compréhension et de raisonnement.
J'ai gardé cette ambition même si j'ai compris depuis quelques années que ce genre de souci fait de moi une espèce de phénomène monstrueux par sa rareté.
Ce n'est pas que mes contemporains détestent discuter, s'empoigner par les cheveux, non certes, mais ils n'ont aucun scrupule, et surtout aucune aptitude à utiliser des arguments dignes de ce nom. Et tous sont persuadés qu'avoir le dernier mot prouve qu'ils ont raison. L'intelligence, dans tout cela, ne trouve jamais à s'employer ni à se parfaire. Et les résultats, considérations ridicules et imprécises, vulgarités innombrables, bêtises sempiternelles, sont sans utilité.
Par exemple, le « Jeu des Perles de Verre » de Hermann Hesse me paraît toujours traiter de la question essentielle pour répondre au besoin le plus fondamental. Que d'autres sujets puissent être considérés comme plus importants me surprend toujours un peu.
La culture, la noblesse intellectuelle, l'amour de la vérité, le doute constructif permanent, apanage d'une humanité meilleure et toujours à la recherche de l'excellence, ressemble évidemment à une utopie. Tout ce que désirent les hommes, lorsque la maladie, la vieillesse et la mort leur en laissent le loisir, est le vernis superficiel qui leur permettra d'abuser autrui, de parader, de séduire, souvent de corrompre, et de gouverner. Du haut en bas de l'échelle sociale. Parmi les artistes et les intellectuels au premier rang. Et au plus éclatant chez les hommes politiques.
Je le leur pardonne parce qu'ils y mettent généralement toute leur candeur et qu'ils y renoncent en général quand ils se retrouvent face à quelqu'un qui les accepte potentiellement tels qu'ils sont, ou plutôt tels qu'ils devraient être.
Ce que je supporte pas c'est qu'ils continuent à vouloir m'abuser au regard de la société comme si je ne savais pas que le plus précieux en l'humain est précisément la part de nature qu'il nous reste.

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Peut-être qu'il y a une certaine insatisfaction « normale » liée à la condition humaine. Peut-être que nous sommes effectivement comme le décrit la religion chrétienne et tente de l'expliciter Teilhard de Chardin, une espèce entre deux règnes, celui de l'animal et un autre difficile à concevoir, plus «  spirituel », des bâtards, des monstres, un métissage de babouin et d'ange, quoique plus proche du premier que du second, écartelés entre les deux, et tentant désespérément de concilier des contraires que rien ne peut harmoniser ?
Mais je ne le crois pas.
Je pense que cette sensation provient simplement de notre incapacité à nous accepter et à nous en remettre à une sorte d'instinct jamais reconnu comme tel, qui est, selon moi, la pulsion intérieure destinée à nous conduire naturellement à l'état de Bouddha.
Si nous parvenions à reconnaître cette disposition biologique fondamentale nous n'aurions pas des conditions psycho-sociales d'existence néfastes à cette réalisation, et, peut-être, certains d'entre nous pourraient-ils plus facilement et plus souvent en prouver la réalité.

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Je ne sais comment l'expliquer mais c'est pour moi une chose merveilleuse que de savoir que le temps et l'espace interagissent ensemble dans un univers où les déplacements de la lumière sont courbes... J'entrevois avec reconnaissance que là-dedans le bonheur peut mieux trouver sa place !

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J'ai un idéal enfantin de paix, d'harmonie et de sagesse. Et je ne connais que des destins misérables, la médiocrité, le malheur, la tragédie.
Même la personne la plus admirable que j'ai connue, une âme et un esprit supérieur, presque parfaits, vivait environnée de haine et de la maladie, oeuvrant pour redimer l'une, guérir l'autre.
Moi, je voudrais être le Bouddha de la légende, sous les pas de qui éclosent les fleurs, versant alentour la confiance et l'espoir, récoltant les bénédictions.
Entre l'aube rose et le soir violet, au son d'une musique céleste, j'enchanterais hommes et bêtes, plantes et pierres, constamment éclairé et ne voyant que Dieu.
Et ma mort à un âge caduc serait une splendide ascension avec le soutien sublime des anges.

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Le malheur est une chose affreuse qui peut devenir tellement banale, tellement chronique, que la personne atteinte ne sait même plus qu'elle souffre, ne peut comparer son état à un autre, se rendre compte de sa gravité.
La peur est une étroite boîte noire dans laquelle l'âme se retrouve prisonnière, et le malheur, peur familière, apprivoisée, est aussi une prison, mais une espèce de cachot dégoulinant aux inconsistantes parois, mou et grisâtre, au fond duquel on ne peut pas respirer.
Contempler le malheur engendre l'angoisse, ce hurlement intérieur ininterrompu qui vous fait transpirer, vous recroqueviller, retourner à l'état de foetus impuissant.
A moi qui connaît tout cela par coeur, qui pourrait même imaginer ne rien connaître d'autre, souhaitez que soit rendu le calme horizon de ciel bleu, le pacifique horizon sans nuage.

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"Politique de civilisation", sur l'instant ça peut paraître intéressant, et puis ensuite ça ressemble à "guerre propre"...

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Tandis que je songeais à la Vacuité un grand silence se fit tout-à-coup à l'extérieur et dedans tombèrent les étoiles, la nuit noire, la lune, les montagnes, toute la Terre comme aspirée, retournée comme un gant, et ne resta que le vide, ma conscience, mes yeux écarquillés, du moins j'en eus l'impression, et une étincelante lumière blanche qui se mit à grandir terriblement jusqu'à m'aveugler.
Dans le silence qui paraissait indissociable de l'espace une voix se fit entendre, à vrai dire tout à fait irréelle, autant intérieure qu'étrangère, qui grondait comme l'océan furieux et était caressante comme une brise tiède.
Et, me montrant des pans de l'univers qui ressemblaient à des tapisseries soulevées, brodées de tout le savoir imaginable sous forme de tableaux d'une beauté inouïe, elle m'enjoignit sans recours de ne plus jamais avoir peur !

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Le vrai est là, et bien là, en morceaux, en éclats, en pépites, en fragments. Un peu ici dans ce poème, et là, dans ce regard confiant, cet aveu murmuré, ce geste amoureux, qui brillent comme de l'or de la lumière vénérée, insaisissable, divine.
Peu importe, finalement, que personne, sauf de très rares exceptions -tu n'en as connu qu'une- ne soit capable d'en rendre compte, de l'assumer, et de t'offrir le partage que tu considères comme la seule amitié digne de ce nom.
Ces molécules, ces tesselles, ces facettes éparpillées, composent un organisme, un corps étincelant, que tu peux enfin apercevoir, reconstituer en esprit, faire surgir de la gangue obscure du monde qui ne semble exister que pour lui servir de berceau.

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Quand, dans l'esprit d'un individu, qu'il soit en haut ou en bas, la condition faite par la société, la condition sociale, usurpe la seule authentique, la seule réelle : la condition humaine (qui n'est déjà pas facile. Manger, chier, être malade, avoir froid, avoir faim. Vieillir, puis mourir...), délire qui n'est que trop fréquent, il faudrait appeler au secours le psychiatre. Si ce n'est pas lui qui vient, c'est la Police.

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Pascal serait sans doute très étonné, s'il revenait aujourd'hui, de constater que, par un retournement invraisemblable, la religion passe pour être précisément ce que lui-même dénonçait en son temps, au sens plein, « le divertissement ».
L'« opium du peuple » fait même figure de faiblesse, une consolation pour ceux qui ne peuvent pas regarder la dure réalité en face, et à qui les esprits forts, qui ne peuvent qu'être athées, concèdent avec commisération : « si cela vous aide à vivre »...
Quant à moi j'ai toujours considéré, sans beaucoup y réfléchir, que le « corpus » religieux était l'émanation d'une science extrêmement complexe et absconse, l'ingénierie d'un projet visant à aborder les aspects les plus rares et les moins connus de la vie où se réalise la jonction de l'homme et du monde extérieur, au partage où ils se superposent, une science objective dont la pratique inclurait dans une seule et même vision l'observateur et la chose observée : le vrai, le réel, moi et non-moi réunis.
Tout le contraire d'un bouclier, sauf à considérer que le corps est le rempart de l'âme et à ne se soucier que d'elle en le sacrifiant d'avance.
C'est sans doute ce qui explique que je ne puisse comprendre l'inverse, comprendre ce que font la majorité de mes contemporains : vendre leur âme pour protéger leur corps. Par exemple « se vendre » -ce n'est pas moi qui ai inventé l'expression- c'est-à-dire se vanter, résilier la modestie naturelle, la pudeur, pour obtenir du travail. Mentir à tout bout de champ. Changer d'opinion selon la conjoncture. Changer d'amis selon les besoins, etc., etc..
Regarder la télévision est une épreuve à cet égard. On n'y voit, il me semble, que l'étalage de cette faiblesse qui devrait normalement être le fait des gens comme moi. Tous ces mécréants n'ayant peur ni de Dieu ni du diable devraient faire preuve d'une dignité inoxydable, comme un lion, un tigre, ou même un simple chat.
Ils ne devraient certainement pas savoir ce qui est politiquement correct ou, en tous cas, le dédaigner. Pourtant on les voit tous ramper, tricher, obéir, s'excuser, faire le beau, courir après le troupeau, comme des chiens ou des moutons.

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